L’harmonica le trombone et le parapluie, extraits

Nous étions en pleine guerre, les bombardements étaient réguliers et le Débarquement se faisait attendre. Nous n’en pouvions plus de cette tuerie. Nous étions jeunes et avions envie de vivre et de nous amuser. Et puis, nous avions peur, aussi. Fin mai, on m’appela enfin. Je devais me préparer, rejoindre la base de Broadwell à une centaine de kilomètres de Londres. J’ai toujours aimé les avions, rêvais de voler. Je m’étais donc engagé dans un bataillon de parachutistes.

Vous étiez parachutiste ?

Le regard du gamin s’agrandit d’étonnement. D’admiration, aussi.

Oui… Dans le 9e bataillon, très exactement. Qu’est-ce que tu crois ?! Je n’ai pas toujours été un vieux bonhomme ! Bon accrochez vous, je commence mon histoire…

***

Les sanglots longs…

Paul Verlaine

        Aérodrome militaire de Broadwell,

5 juin 1944, aux environs de 23 heures

C’était l’heure. Les Dakota ronflaient sur la piste. Nous avions pour mission de préparer le secteur Sword * pour que l’opération Overlord puisse aboutir. Pour cela nous devions faire tomber la batterie ennemie de Merville-Franceville. Nous étions là depuis plusieurs heures, à attendre sous la pluie, à nous encourager mutuellement, à nous taper sur l’épaule, à siffloter pour nous donner une contenance. Le paquetage était lourd, la tension pesante. It was raining cats and dogs, comme on dit chez nous. À vrai dire, nous n’en menions pas large. Certains, silencieux, étaient déjà loin. D’ici deux heures à peine, nous serions parachutés au-dessus de la Normandie, et même si nous étions fiers de participer à ce « DDAY » tant espéré, la peur nous tenaillait le ventre. Le sergent, conscient de l’angoisse qui petit à petit s’emparait de ses hommes, m’interpella :                                                       

Peter Gordon, vous qui avez toujours un harmonica sur vous, jouez nous donc quelque chose.

Je me redressai et, sans un mot, sortis mon harmonica de la poche de ma veste « Denison Smock » pour entamer aussitôt un respectueux God save the King, que le sergent m’interrompit aussitôt :  

Oh non, Sa Majesté me pardonne, mais n’auriez vous pas dans votre répertoire un morceau plus « entrainant » ? Du jazz par exemple ?

Surpris, je me souviens avoir opté alors pour In the mood. L’effet sur mes camarades fut immédiat : les traits se détendirent, on respira un peu mieux. Certains battaient même la mesure dans un sourire malgré tout un peu forcé. Plus tard, j’aurais l’occasion de raconter cela à Glenn Miller, que sa musique avait remonté le moral de l’équipage, avant le grand saut. Cela l’avait beaucoup touché. Enfin on décolla. La météo, exécrable depuis deux jours, laissait prévoir un vol mouvementé. La veille, c’était une véritable tempête qui avait sévi sur le sud de l’Angleterre, rendant tout décollage impossible. Cette nuit serait donc « la bonne » et nous nous étions sentis presque soulagés lorsque l’on nous avait fait appeler. Agir enfin, et ne plus attendre. On n’en pouvait plus de cette guerre et on était prêt à tout pour que tout cela s’arrête. En attendant, cela secouait dans la carlingue. À l’extérieur, les éléments étaient déchaînés. Nous nous cramponnions et autant dire que l’heure n’était plus à la bravoure. On pensait à nos mères, à nos femmes, à nos « girl friends », pour éviter de penser à ce qui nous attendait, en bas.

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2 Commentaires

  1. Cela fait un bout de chemin que Christelle Angano m’emmène à travers ses romans historiques dans la campagne normande en narrant l’histoire de son arrière grand mère Clara en 1944 … Cet année là en 44 ….Avec L’harmonica, le trombone et le parapluie, d’autres faits se dévoilent …. Quand je lis ses paragraphes , ses lignes , ses mots … Christelle Angano a ce don de nous poser au centre de l’action que ce soit dans un village , un bois, une maison , autour d’une table avec des personnes auxquelles que l’on se prend d’affection presque instantanément… . Je fais ce que j’appelle une pause page… En fait , sans vouloir être indiscret ,je me trouve avec ces personnages , que je prends le temps d’écouter , d’observer … Il en est de même pour cet environnement si bien décrit par Christelle Angano , ici un bois, ici un hôtel ,avec vue sur l’aiguille d’Etretat …Et puis …. Et puis ces notes de musiques d’un harmonica , d’un trombone …C’est Glenn Miller ! Page après page … On se laisse bercer … ET là , tout est dans le secret d’écriture de notre auteure , une note plus aigue , une note plus grave … Pluie de mots qui font des maux, pluie de notes de musique zazou… Une forme de résistance qui donne ce sentiment de liberté … Une histoire de parachute , de parapluie … Qui comme ce roman de Christelle Angano ont cette grande valeur … Quand ils sont ouverts ..

  2. Merci 1000 fois pour ce magnifique retour… Avec ce troisième ouvrage, la boucle « Clara » se boucle.
    Et François est là.
    Merci.

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