Peter Gordon, à Douvres la Délivrande. L’harmonica le trombone et le parapluie, extrait.
Il avait découvert la petite ville de Douvres la Délivrande, sur la Côte de nacre. À cette époque, il recherchait la sépulture d’un copain d’enfance avec lequel il avait grandi à l’orphelinat et qu’il avait perdu au début de la guerre. Il avait fini par apprendre que ce dernier était tombé dans cette petite ville de Normandie. C’était là qu’il reposait. Peter avait pris l’habitude de venir tous les ans « lui rendre visite » – c’était son expression – le plus souvent, il se tenait debout devant la sépulture, silencieux et digne. Parfois, souvent, il prenait son harmonica pour « lui » jouer un très solennel God save the Queen.
Il avait donc fini par revendre sa boutique pour venir s’établir sur la côte de Nacre, s’était fait embaucher comme guide dans un petit musée sur la côte et était devenu traducteur puis correspondant à Ouest-France. Il avait vécu là de nombreuses années, dans une jolie maison de bourg, tout en pierres, avec son petit jardin dans lequel il avait passé des heures à rêver au passé, Winston, son chien, à ses côtés. Quand il ne rêvait pas dans son jardin, c’est qu’il était parti dessiner. Il avait toujours un calepin dans sa poche, et un crayon papier, taillé au couteau – Peter Gordon détestait les taille-crayons –. Si on avait pu feuilleter son carnet, on y aurait découvert un sourire, comme un refrain. Toujours le même : un sourire un peu triste, mystérieux, mais qui pourtant, avait ce quelque chose qui donnait envie de croire en l’avenir.
Là-bas, il était apprécié de tous. « L’English » comme on l’avait surnommé affectueusement,
était un homme plutôt solitaire et discret, dont on ne savait pas grand-chose, si ce n’était qu’il était arrivé là, un jour, un peu par hasard, et qu’il n’était jamais reparti. On le croisait souvent à la Baronnie, une ancienne seigneurie de l’Évêché de Bayeux. Il affectionnait cet endroit empreint d’Histoire, imaginait Guillaume le Conquérant et
son ami, l’archevêque Thomas de Douvres, le premier archevêque d’York. Le bâtiment, magnifique, avait servi de dispensaire en 1944, et, bien sûr,
cela ne pouvait qu’émouvoir son cœur d’ancien
para.
L’harmonica le trombone et le parapluie, (In Octavo) extrait…