La maison de Claire

16 juillet 2022.

Chère Clara,

Hier, il m’a été fait un cadeau inestimable. Hier, je suis rentrée dans LA maison. C’est une émotion que je n’oublierai pas. Toutes ces années où je suis passée près d’elle, où je me suis fait prendre en photo près d’elle, à la barrière, en me disant : si seulement… Et voilà. Grâce à Claire, sa nouvelle propriétaire (oui, Claire, Clara…), j’ai pu réaliser un de mes rêves.

Curieusement, je sais déjà que cet après-midi a changé quelque chose en moi. C’est une sensation diffuse. J’ai pu visiter la maison, chaque pièce. J’ai retrouvé la cheminée près de laquelle tu lis ton livre sur cette photo qui ne me quitte pas, et que j’aime tant. Je sais maintenant que c’était celle de ta chambre. Je t’ai imaginée dans ton fauteuil, lisant les lettres de François, pleurant sa disparition, celle de Léon aussi. J’ai monté l’escalier, j’ai imaginé François et Robert courir dans cet escalier pour aller dans leur chambre, également visitée. Un instant, j’ai cru entendre leurs rires de gamins, avec leur cousin Claude, qui venait passer ses vacances avec eux. Je suis montée dans le grenier, avec la malle aux vieux livres. Y’en avait-il qui t’avaient appartenu ? Je n’en sais rien, mais qu’importe. Ils sont dans leur grenier. Et puis j’ai pensé à Suzanne. Suzanne qui me manque tant. Elle était avec moi car je portais son collier. Je l’ai imaginée jeune mariée, dans cette belle maison. Clara, Suzanne, vous étiez près de moi, assurément. Et puis, il y avait ce petit lieu, très intime, et qui, aux dires de sa nouvelle propriétaire, n’a pas changé. Je crois que c’est là que je me suis sentie le plus proche de toi, Clara. Enfin, j’ai pu visiter le jardin. Tu sais, j’ai mis les pieds dans ce fameux ruisseau dont j’ai tant entendu parler. Il faisait chaud, l’eau était fraîche. Je me suis dit que tu avais dû faire la même chose. Tu as entendu toi aussi, son chant cristallin. Une fois encore, j’ai pensé à François, à Robert et à leur cousin Claude. Je les ai vus (si, je les ai vus) s’arroser en riant, rapporter des écrevisses pour le déjeuner. peut-être même des truites, je sais qu’il y en a. je suis rentrée dans la petite maison qu’il y a dans ce jardin, et une fois encore, j’ai tout ressenti, (j’allais dire tout revu).

Alors, c’est vrai que je t’ai aussi imaginée le jour de ton arrestation. On tambourine à la porte. Bien sûr, tu comprends tout de suite. Tu es dans ta chambre. Tu portes la main à ton cœur, t’appuies à la petite cheminée… Un instant, tu penses à Robert et à Suzanne, en remerciant Dieu qu’ils soient à Vasouy. Tu descends l’escalier, prends le petit couloir. Avant d’ouvrir la porte, tu regardes une dernière fois ta cuisine que tu aimais tant, peut-être penses-tu à Fanfan, qui n’est plus là, aux goûters que vous faisiez sur la petite table.

Et puis tu as ouvert la porte. Fin de l’histoire.

Tu vois Clara, en venant, j’avais un peu peur. Peur d’être submergée, peur de d’être obsédée par ce 19 juin, ces coups brusques à ta porte. Mais non, c’est bien une maison sereine que j’ai visitée. je m’y suis sentie bien. Mon imagination fantasque te voyait partout, dans ce petit souffle d’air chaud qui caressait mon bras dans le jardin. Le chant du ruisseau devenait le rire des enfants. Et j’aime cette idée que d’autres enfants y tremperont leurs pieds. Ta maison est vivante, apaisée, et j’en suis heureuse.

Bien sûr, en repartant, je suis allée sur la tombe de Fanfan. Moi qui n’aime pas les cimetières, qui ne crois pas particulièrement en Dieu, je crois que c’est la seule tombe que je « visite » régulièrement. Probablement pour Clara, parce qu’elle n’a pas pu le faire.

Enfin, Je ne peux pas terminer ce petit texte sans vous remercier Claire pour ce cadeau inestimable. J’ai ressenti à quel point vous aimiez votre maison, qui est aussi celle de votre enfance. Vous aussi, avez mis les pieds dans l’eau du ruisseau, avez joué dans la petite maison… Cet après-midi était une parenthèse, un instant magique. Seul le ruisseau me rappelait que le temps passait, inéluctablement. Parce que non, ce n’est pas la même eau qui a baigné mes pieds. Et c’est ça qui est bien. Merci aussi de m’avoir présenté votre petite-fille. Une nouvelle génération de rires à venir, de chants dans le jardin, de goûters d’anniversaire.

Merci pour tout cela, et pour le reste, mais qui nous appartient. Je vous embrasse.

A lire également

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *