Cette nuit-là..
C’est la semaine des commémorations. Jeudi prochain, je retrouverai Neil Barber, Marcel Dupuis, et Ludovoc Louis à la batterie de Merville.
À l’occasion de cette semaine, je suis heureuse de pouvoir partager avec vous ce travail pédagogique créé par Marcel Dupuis l’année dernière, à l’occasion de l’inauguration du banc du souvenir en hommage à Clara. Alors, je ne suis pas « passéiste » mais je reste persuadée que, comme l’écrivait si bien Victor Hugo : » Quand la nuit essaie de revenir, il faut allumer les grandes dates, comme on allume les flambeaux ». À nous de préserver, de protéger la lumière, afin qu’elle ne soit jamais, plus jamais, éteinte.
Ils ne veilliront pas, comme nous qui sommes restés.
L’age ne les atteindra pas, ni le poids des années.
À l’heure du crépuscule et à l’heure de l’aube,
Nous nous souviendrons d’eux.
Laurence Binyon, « For the Fallen », Act of Remembrance.
Nous sommes la nuit du 5 au 6 juin 1944, vers 1h du matin. Il fait mauvais temps: il y a eu tempête hier. Reste un fort vent d’Ouest, le ciel est totalement couvert de nuages qui cachent la lune pleine. Un bruit perce le silence. Un avion vient de la mer. Il s’approche du littoral, passe près d’ici.Il vole très bas, à seulement 150 à 200 m. Quel est cet avion ? D’où vient-il et quel est son objectif ?

Cet avion porte la cocarde britannique et les bandes blanches et noires des avions militaires du D-Day. C’est un transporteur de troupes DAKOTA, construit aux Etats-Unis. ll a décollé de l’aérodrome de Broadwell dans le sud de l’Angleterre à 23:15 et vient de traverser la Manche.La porte arrière gauche de l’avion est grande ouverte. De cette porte jaillissent des hommes qui s’élancent dans le vide, des parachutes se déploient et descendent sur la foret de Saint-Gatien-des-Bois et sur le village de Barneville-la-Bertran. Quatre containers sont aussi largués et descendent en parachute. Qui sont ces parachutistes ? Ils appartiennent au 9 ème Bataillon de Parachutistes Britanniques.Nous le savons grâce à un document retrouvé par Ludovic Louis aux Archives Nationales Britanniques.

La mission du 9 ème Bataillon à laquelle appartiennent ces parachutistes britanniques est d’attaquer la batterie de canons allemande de Merville, qui constituent une menace pour les navires alliés du débarquement. Il faut donc mettre les canons de Merville hors de combat. Telle est la mission des 600 hommes du 9eme Bataillon qui s’élancent la nuit précédant le débarquement.

Mais, la plupart des 600 paras furent dispersés à des distances considérables de leur objectif. Les paras qui atterrirent le plus loin furent ceux de Barneville-la-Bertran, à plus de 30km de l’objectif.

Ils étaient commandés par le Sergent Edward «Ed Junior» SMITH.
Avec lui atterrit à Barneville le Caporal Georges “Tug” WILSON. Le Sergent Douglas “Doug” SMITH les accompagnait aussi.
Les quatre containers qui furent aussi largués contenaient deux mortiers et des obus. Les mortiers étaient des armes lourdes. Ils pouvaient tirer des obus de 4.5 kg à une distance allant jusqu’à 2.5 km. Ils pouvaient aussi lancer des obus fumigènes et des obus éclairants. Chaque mortier pesait 60kg sans les munitions et il fallait 3 hommes pour le mettre en action.
Au matin du 6 juin, les paras dispersés sur Barneville reçoivent de l’aide des habitants, qui les cachent, les renseignent et les ravitaillent en nourriture pendant de nombreux jours. Le courage des habitants est considerable, ils savent qu’ils courent de grands risques en aidant des parachutistes alliés qui sont activement recherchés par les Allemands.
Plusieurs parachutistes quittent Barneville pour tenter de rejoindre leur Bataillon. Les soldats allemands sont sur leurs traces. Doug Smith est capturé par les Allemands à Villerville dès le 6 juin et est fait prisonnier.Edward Smith et Georges Wilson marchent jusqu’à Saint-Gatien-des- Bois ou ils se cachent les 8 et 9 juin puis ils atteignent Saint-Benoit-d’Hebertot où ils sont pris en charge le 12 juin par le Maquis Surcouf.

Une course à la montre s’engage alors entre les Allemands et la Résistance. La Résistance réussit à contacter quatre parachutistes qui étaient restés à Barneville. Elle les fait quitter la commune et les amène à Englesqueville-en-Auge pour tenter de leur faire traverser la Touques. Par contre,elle n’a pas le temps de prendre les containers qu’un habitant de Barneville a cachés chez lui. Les mortiers restent donc à Barneville…
La suite de l’histoire est sombre. Dans la nuit du 18 juin les soldats allemands descendirent à Barneville. Ils ne trouvèrent pas les parachutistes qui avaient déjà tous quitté le village. Ils découvrirent cependant les containers avec les armes lourdes. Les soldats allemands arrêtent sept habitants de la commune et un habitant de Pennedepie, accusés d’avoir porté aide à des combattants ennemis. Ces 8 civils furent déportés en Allemagne dans les camps de concentration de Neuengamme et Ravensbrück. Sept moururent dans les camps. Un seul survécut…
En juin 2011, le musée de la Batterie de Merville organisa une cérémonie en souvenir des six déportés de Barneville et de Pennedepie. Y participèrent les vétérans du 9ème Bataillon de juin 1944, qui rendirent hommage à ces civils dont le courage avait été si grand. Une plaque rappelant les évenements de Barneville fut posée sur les murs du Musée.
Le dernier des 600 paras du 9ème Bataillon est mort en 2023. Tous les faits relatés ci-dessus sont véridiques. Ils ont été reconstitués grâce à des documents d’archives, des rapports et des récits, et des discussions avec des témoins directs. Pour ces longues recherches, j’ai eu l’aide précieuse de trois personnes en particulier, que je veux remercier:
Neil Barber, historien anglais
M. Ludovic Louis, spécialiste des aéroportés du DDAY.
Mike Woodcock,archiviste du 9ème Bataillon,
-Marcel Dupuis – 3 juin 2024 – Manoir d’Apreval.