Mariam

Écrit il y a quelques mois, et malheureusement d’actualité. Que ce monde est donc douloureux !

Je dédie ce texte à Mariam Nouri, jeune femme de 24 ans, qui
s’est noyée au milieu de 26 autres migrants dans la Manche, au large de
Calais, en tentant de rejoindre son fiancé en Angleterre


C’est une belle lumière hivernale qui caresse les dunes. Il est 10 heures.
La plage, immense, accueille quelques promeneurs courageux. Il fait froid. La
mer est noire, comme écrasée par la lumière blafarde. Bientôt un groupe de
silhouettes sombres s’approche de l’eau. On rit fort, on s’encourage. La sortie
promet d’être sportive et vivifiante : le vent de nord s’est levé, accompagné
d’une légère houle. Mais rien de terrible pour ces amoureux de la mer, que rien,
ni le froid, ni le vent, ni la pluie, ne fait reculer. La mer est leur amie. On les
trouve un peu fous. Aller à l’eau à cette période de l’année n’est pas
raisonnable. Mais qu’importe ! Les voilà maintenant en file indienne, l’eau à la
poitrine, dans un même mouvement. Ils partent à contre-courant, pour revenir,
portés par ce dernier. On leur a appris la mer, ses surprises, ses dangers. Et si
cette dernière est leur partenaire de jeux, ils ont tout de même appris à s’en
méfier. Elle sera toujours la plus forte, même quand elle dort… surtout, quand
elle dort.
Au loin, un ferry passe. Dans sept heures environ, il sera à Portsmouth.
Sur la plage, des chevaux ont rejoint les chiens. Bientôt, ce sera le tour
des chiens sauveteurs en mer d’investir les lieux.
Dans les dunes, quelques silhouettes furtives interrogent l’horizon.
22 heures :
Mariam rejoint la plage. Ils sont bientôt une trentaine ; tous ont fui la
guerre et la peur. 190 kilomètres… 190 kilomètres et ce sera la Liberté. Enfin !
La fin de cette longue errance qui les a conduits là. Mariam a toujours aimé la
nuit, mais ce soir, elle a peur. Elle a froid aussi. Elle repense à son pays, à sa
mère qu’elle a quittée il y a quelques semaines. Elle pense à ceux qui riaient ce
matin en entrant dans l’eau. Comme elle les envie ! Ses compagnons de misère
rient aussi, mais eux, c’est pour chasser la terreur qui les envahit.
En tremblant, Mariam enfile un gilet de sauvetage. Elle entre dans l’eau,
une eau qui, cette fois, n’a plus rien d’amical. C’est comme un piège glacé qui
saisit ses fines chevilles. Mais Mariam, est courageuse ; elle serre les dents.
Des hommes la saisissent par la taille puis la hissent dans le bateau. La nuit est
maintenant d’un noir d’encre, aucune étoile pour leur sourire ni de lune pour les
guider.
Voilà, ils sont partis. La côte s’éloigne, scintillante. Dans les maisons, il
fait chaud. On parle des vacances à venir, on profite de la chaleur d’un feu de
cheminée, de la douceur d’un bain parfumé… peut-être même fait-on l’amour…
Dans la nuit, Mariam, quant à elle, a de plus en plus froid. Elle serre
contre elle son petit sac, les papiers précieux, une fleur de son jardin, la photo
de sa mère celle de son fiancé. Il l’attend là, à quelques kilomètres, impatient et
inquiet.
Mais la houle se forme, se fâche, menace. Un enfant pleure. Sa mère
tente de le rassurer. Et puis Dieu. Dieu que l’on prie, que l’on supplie, que l’on
implore enfin que l’on engueule aussi… En vain. Alors, les chants s’estompent,
agonisent, les pleurs leur succèdent puis les cris d’épouvante. La mer
s’encolère, le bateau tangue, dix fois manque de chavirer, chacun s’agrippe
comme il peut, deux hommes tombent à l’eau. C’en est fini pour eux.
Pas très loin, un ferry passe. Son ombre semble les frôler.
Enfin une déferlante, encore plus puissante que les précédentes. Mariam
n’a plus la force. Une main se tend pourtant, la rattrape, la retient. Mais elle
glisse encore. L’enfant quant à lui ne pleure plus, les flots l’ont emporté. Sa
mère, hurlant sa douleur, choisit de le rejoindre. Mariam pense à celui qu’elle
aime et qui l’attend, à celui qu’elle ne rejoindra pas. La voilà à l’eau. Elle
appelle sa mère, implore son pardon. Il lui semble alors entendre sa voix qui la
rassure.
« N’aie plus peur ma fille. Te voilà délivrée ».

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